Le Canada a interdit le poppers en 2013, et la communauté gay canadienne se bat depuis plus de 10 ans pour récupérer cet accessoire sexuel qui réduit la douleur et augmente le plaisir lors des rapports sexuels avec pénétration. Nous avons eu l’occasion de parler à quelqu’un qui connaît directement l’impact de l’interdiction du poppers au Canada. Cameron Schwartz est chercheur et étudie les conséquences des politiques réglementaires liées aux poppers. Il vit et travaille à Vancouver, au Canada.
Cameron, pouvez-vous vous présenter brièvement à notre communauté de poppers dans le monde ?
Je suis un spécialiste de la santé publique au Canada. Une grande partie de mon travail porte sur la consommation de drogues, la sexualité et la santé mentale. J’ai également dirigé un programme basé sur la recherche et orienté vers la communauté afin de faire progresser les travaux scientifiques autour de Poppers ainsi que les approches politiques basées sur des preuves.
Quel a été le résultat de la répression des poppers au Canada dans les années qui ont suivi 2013 ?
Au Canada, les poppers sont considérés comme des médicaments sur ordonnance, mais leur vente ou leur distribution n’est pas autorisée. Dans le passé, les poppers pouvaient être achetés dans les sex-shops, mais dans une zone grise juridique. En 2013, le gouvernement a toutefois pris des mesures contre la vente de poppers, en retirant complètement ces produits des magasins et en menaçant les vendeurs d’amendes et de prison.
Un facteur important dans l’examen de l’impact de cette politique est le fait que les gens continuent à utiliser des poppers. En effet, les données du Community-Based Research Centre (une organisation nationale canadienne dirigée par des personnes queer et trans) indiquent que la fréquence d’utilisation des poppers n’a pas beaucoup changé après la mesure. Au lieu d’acheter des poppers dans les magasins, les gens ont commencé à acheter des poppers auprès de sources non réglementées, telles que les dealers ou les boutiques en ligne. Une étude que j’ai publiée en 2020 a confirmé qu’en dépit de cette action, les gens continuent à avoir besoin de poppers pour améliorer leur vie sexuelle, mais qu’ils ont peu confiance dans la sécurité des produits non réglementés qu’ils utilisent. Des éléments indiquent également que des produits chimiques plus nocifs (comme le chlorure d’éthyle) ont remplacé les poppers chimiques traditionnels dans certains cas.
Vous parlez de marginalisation de la communauté gay en raison de l'interdiction du poppers. Pouvez-vous expliquer cela ?
On peut considérer la marginalisation et la réglementation des poppers à plusieurs niveaux. D’une part, la marginalisation est une conséquence de ces politiques : les États qui interdisent le poppers criminalisent délibérément les substances associées au sexe anal, renforçant ainsi indirectement l’idée que les gays ne font pas partie de la société.
D’autre part, la marginalisation est également une cause de telles politiques. Avec des collègues au Canada, j’ai publié une revue critique de la recherche autour de Poppers. Nous avons constaté que, contrairement à d’autres drogues utilisées comme adjuvants sexuels (médicaments pour l’érection, œstrogènes vaginaux, etc.), la recherche sur l’utilisation des poppers était systématiquement influencée par l’homophobie, l’hétéronormativité et la stigmatisation liée aux drogues par inhalation. Alors que les poppers sont souvent utilisés à des fins thérapeutiques (pour soulager la douleur lors de rapports sexuels anaux), la recherche existante cherche principalement à identifier les dommages. En conséquence, nous avons une compréhension biaisée de l’utilisation des poppers, et il est plus difficile pour les autorités de régulation de la santé d’accepter les produits à base de poppers que d’autres médicaments (comme les médicaments stimulant l’érection).
Que pensez-vous des récentes affirmations selon lesquelles les poppers causent le SIDA ?
Les poppers ne causent pas le SIDA. Le lien entre les poppers et l’apparition de maladies définissant le SIDA a suscité une attention considérable de la part des chercheurs, car les poppers sont le plus souvent utilisés par les hommes gays et le plus souvent dans des environnements sexualisés. Cependant, l’idée selon laquelle les poppers causent le SIDA s’est avérée fausse dans les années 1980 après la découverte du VIH. Cette revue récente décrit bien l’épidémiologie de l’utilisation des poppers et du VIH/SIDA.
Comment évaluez-vous les différentes formulations du point de vue de la santé ? (Nitrite de pentyle, Nitrite d'isopropyle, Nitrite d'isobutyle, Nitrite d'hexyle, Nitrite d'amyle)
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre réellement les différents profils de sécurité de chaque produit chimique poppers. Il existe certaines tendances entre les dommages connus et certains produits chimiques ; Cependant, tous ces produits chimiques agissent par la même voie physiologique, ce qui rend difficile l’interprétation de ces tendances sans preuves supplémentaires.
Par exemple, des recherches préliminaires indiquent que le nitrite d’isopropyle pourrait être associé à une forme rare de lésion oculaire appelée maculopathie rétinienne. Cependant, cette maladie a également été provoquée par d’autres produits chimiques de poppers, et des travaux supplémentaires sont nécessaires pour comprendre le mécanisme physiologique derrière cette maladie. Certaines personnes qualifient également le nitrite d’isobutyle de cancérigène. Cependant, ces données proviennent d’études animales et il n’est pas clair dans quelle mesure nous pouvons extrapoler ces résultats aux humains. Je n’ai pas connaissance d’études comparables sur d’autres produits chimiques poppers (nitrite d’amyle, nitrite d’isopropyle, etc.), nous ne pouvons donc pas dire grand-chose sur leurs risques respectifs en termes de cancer.
Quels conseils donneriez-vous aux gouvernements et aux régulateurs du monde entier ?
En général, je recommanderais vivement aux régulateurs d’identifier clairement les objectifs prévus que leur politique doit atteindre et d’élaborer une stratégie pour évaluer si ces objectifs sont atteints. Les régulateurs partent souvent du principe que l’interdiction de substances renforce la sécurité publique ou les libère de toute responsabilité, mais lorsqu’il s’agit de poppers, je pense que c’est le contraire qui se produit. Des éléments indiquent que l’interdiction des poppers peut augmenter les dommages causés par le manque de réglementation et la substitution de drogues plus nocives.
Il est également important de reconnaître le parti pris qui a façonné la recherche disponible sur le poppers et d’évaluer soigneusement les valeurs et les hypothèses que nous introduisons dans ce travail. La comparaison (et la remise en question) du statut juridique du poppers par rapport aux autres drogues disponibles (médicaments stimulant l’érection, stupéfiants sur ordonnance, tabac, etc.) peut fournir une base utile pour commencer cette réflexion.
Quel est votre conseil final à tous les utilisateurs et passionnés de Poppers dans le monde ?
Même si de nombreuses questions restent en suspens concernant Poppers : Certaines formulations sont utilisées depuis le 19e siècle, souvent sans problèmes graves. Mon conseil aux personnes qui utilisent des poppers serait d’éviter le nitrite d’isopropyle et d’écouter leur corps (Si vous vous sentez étourdi, arrêtez… Si vous avez des effets secondaires importants, arrêtez…). De même, si vous souffrez d’une maladie cardiaque ou si vous prenez des médicaments comme le sildénafil (Viagra), faites preuve de prudence et consultez un médecin avant d’utiliser des poppers. Pour le reste, j’encouragerais les gens à assumer leur sexualité, à résister à la honte et à faire les choix qui leur semblent justes.

Biographie de Cameron Schwarz
Cameron Schwartz est un chercheur et un professionnel de la santé publique avec une expérience au Canada et au Royaume-Uni. Son travail couvre les domaines de la recherche, de l’amélioration de la qualité, de la formation médicale et de la promotion de la santé. Cameron est titulaire d’un master en santé publique de l’Université Simon Fraser et d’une licence en sciences de l’Université de Colombie-Britannique.